Le cadre se pose, la caméra balaye l’atmosphère d’un hangar, un sol de paille, les regards patients des bêtes : c’est l’enfant du pays qui observe. Les yeux grand ouverts, mais sans chercher à élucider, Nicolas Tubéry remonte par le détail au milieu d’où il vient. Une succession de plans serrés fait apparaître un monde paysan dont les cadences sont éternellement modelées sur celles de la vie. Hors d’époque, les rapports des hommes à leurs outils, à leur langue, à leurs rituels quotidiens ont constitué un patrimoine singulier, un univers laissé à distance de l’art depuis la fin du XXème siècle. C’est là pourtant que Nicolas Tubéry a découvert son vocabulaire de matières et de formes. Ses structures d’acier, ses pierres de sel, ses évocations d’un box ou d’une clède émanent tout droit de la ferme familiale, du labeur dans la campagne occitane où il a passé son enfance.
Dans ses films, il regarde le monde en sculpteur : observateur muet s’attachant aux gestuelles, guettant les lumières, inspectant les textures, cherchant dans les corps humains, animaux, mécaniques ou architecturaux la tension, l’événement intime, le rythme, les relations tacites. Avant de se plonger dans le milieu rural, il se penchait déjà sur les rituels quotidiens dans d’autres contextes sociaux. Ses réflexions ont mué, mais elles continuent de toucher à ce qui différencie la captation d’une réalité et la pleine restitution d’une situation.
Les relations complexes de dépendance entre hommes et bêtes, entre marchands et de leurs marchandises, paysages et habitants, sont faites d’accords tacites. Elles passent par des langages davantage physiques que rhétoriques. Face à ses propre sujet, Nicolas Tubéry recherche aussi une connivence qui est au-delà du langage. Sculpteur quand il observe, mais aussi quand il tient la caméra, il transforme les instruments agricoles en machinerie cinématographique. Il greffe ses outils aux outils, capable de façonner des mouvements de caméra à partir de barrières pivotantes ou un travelling sur un racleur hydraulique. En inventant des dispositifs de captation spécifiques aux lieux du tournage, le décor devient sujet, il devient technique. Nicolas Tubéry dédouble le travail agricole par l’ouvrage artistique et rejoue, au moment du tournage, une chorégraphie de l’effort.
Ce jeu de résonances entre le sujet du film et la méthode de sa captation se prolonge dans le moment de la diffusion, quand l’environnement de visionnage se met à évoquer, par bribes, l’ambiance du lieu filmé. Il se développe dans de monumentales installations dominées par le métal. Leur structure, des tubes d’acier ponctuées d’écrans de projection ou d’occultation, rappellent encore les barrières d’élevage. Modulables et éphémères, elles s’adaptent systématiquement au lieu où elles sont montrées.
La situation du tournage et celle de l’exposition est finalement la même pour Nicolas Tubéry : il s’agit de mettre en œuvre les moyens de faire fusionner des regards étrangers – celui de la caméra ou celui des visiteurs – avec la scène qui se déroule devant eux. Faire naître les conditions pour que l’aspect sculptural d’un film et l’aspect cinématographique d’un objet dialoguent et se confondent.
Marilou Thiébault